Depuis vingt ans, plusieurs études – qui ne font pas toutes l’unanimité – tendent à montrer que les dépenses militaires des États sont un vecteur important de croissance économique. Ceci pourrait être vrai, semble t-il, chez la plupart des membres de l’association ASEAN (l’Anastase, pour les Français).
Un regard sur ces pays asiatiques où le rôle des militaires est important, apparait en effet assez édifiant. Les dépenses militaires, souvent très visibles, ne sont pas les seules à pouvoir être considérée comme un moteur de croissance. Ne serait-ce pas plutôt d’ailleurs le rôle d’acteurs joué par les armées (ou par des militaires ?) dans l’économie de certains pays qui serait le plus déterminant pour répondre aux questions qui se posent ?
Les budgets de la Défense de chaque État ou bien l’action des militaires, hors le cadre naturel de leurs fonctions, dans certains secteurs, notamment tertiaires, conduiraient au développement économique, donc à la croissance ?
En Thaïlande, les militaires sont actuellement au pouvoir. Lorsqu’ils ne le sont pas, ils apparaissent partout dans les rouages du fonctionnement du pays. De nombreux premiers ministres à la tête de gouvernements civils furent dans le passé des officiers militaires de haut rang. L’éducation des jeunes thaïlandais parfois un peu laxiste dans les écoles est souvent « corrigée » par des exercices militaires obligatoires pour les lycéens. L’armée, forte, bien équipée, est respectée, et aussi admirée, comme protectrice de la Royauté. Des manœuvres régulières avec l’Armée américaine assure son efficacité. Deuxième budget militaire de l’ASEAN, sans doute la plus forte armée en nombre et matériels modernes, entrainée. Comment ne pas considérer que les militaires et le Ministère de la Défense demeurent dans ce pays un atout pour la croissance économique.
Ce qui caractérise également le pouvoir militaire en Thaïlande c’est la main mise de l’Armée sur de nombreuses terres, répandues sur l’ensemble du territoire. Elle possède une présence terrienne d’importance. De plus, elle contrôle un parc immobilier très conséquent. Ceci lui permet de jouer un rôle économique dans bien des secteurs du développement. Le régalien en Thaïlande à l’esprit large : les affaires, le business, sont souvent accompagnées d’uniformes ou d’homme qui ne les portent pas. C’est d’ailleurs rassurant, puisque les militaires au pouvoir mettent de l’ordre dans les risques nombreux de corruption.
Au Myanmar, la junte militaire birmane au pouvoir depuis des décennies avait absolument tous les pouvoirs sur le pays et le peuple, y compris sut tout ce qui touchait à l’économie du pays et à ses relations internationales. Si elle vient de rendre aux civils tout ce qu’ils demandaient sur le chemin d’un état plus démocratique, elle s’est bien gardée au sein du gouvernement certaines possibilités de contrôle essentielles, comme le poste de Ministre de la Défense ! Et pour cause, dans ce pays, organisé par des structures militaires depuis longtemps mises en place, et qui restent propriétés de l’Armée, tout passe par les militaires, donc par le Ministère de la Défense.
Le développement économique du pays ne pourra pas se faire sans passer par le Ministère de la Défense. Les terres et les biens sont des enjeux et toutes les activités contrôlées sont aux mains de militaires !
Au Cambodge, c’est un ancien Capitaine KR qui dirige son pays depuis trente ans comme Premier Ministre. Lui-même haut gradé dans l’Armée Nationale (RCAF), ne vient-il pas de confier d’importantes responsabilités à ses deux fils passés en France et aux USA par les plus grandes écoles militaires ? Le Budget de la Défense est en progression constante comme les autres ministères prioritaires. L’Armée cambodgienne a d’ailleurs fait ses preuves il y a peu face aux provocations de l’armée thaïlandaise revendiquant le Temple de Preah Vehear.
L’action du Premier Ministre est toute tournée vers le développement économique de son peuple et de ses provinces, ce qui est un succès permanent pour lui et son gouvernement royal. Néanmoins, les militaires ne sont jamais loin des grands trafics du commerce des matières premières puisque le statut de fonctionnaire ne leur interdit pas de faire du business. On dit même que le trafic du bois se passerait la nuit parfois avec des camions aux plaques éloquentes.
Singapour est un tout petit pays par la taille mais dispose d’une très forte armée, héritière en quelque sorte de la Royal Navy britannique. Premier budget de Défense de l’ASEAN qui n’est pas loin de celui des budgets de pays bien plus importants… Sa position géographique stratégique fait naturellement de la cité la place forte de l’ASEAN, entre l’océan Pacifique et l’Océan Indien. L’armée fait depuis des décennies régner l’ordre dans un pays qui marche si droit que l’économie semble suivre et ne cesse de progresser dans les domaines les plus modernes. Entourée de pays musulmans, amie avec l’Inde, Israël et l’Égypte, l’armée singapourienne peut apparaître sans doute presque … surdimensionnée. Pays riche, Singapour logiquement a fait de sa Défense un acteur de toute première importance.
La Malaisie, longtemps affiliée à Singapour dans la Fédération malaise, est aujourd’hui un État indépendant et l’un des rares pays de l’ASEAN à ne pas être dirigée directement par des militaires. Elle poursuit cependant depuis des décennies des investissements militaires pour deux raisons : la première est que le pays est géographiquement situé entre deux puissances militaires, au Nord et au Sud, alors que la position de la Malaise en fait un barrage entre les mers à l’Est où les pirates sont nombreux et à l’Ouest où la Chine est en ligne de mire. L’autre raison de ces investissements militaires c’est qu’elle a conscience qu’elle peut avoir à faire face à des conflits interethniques nationaux.
La frontière du Nord est depuis toujours l’objet de tensions (guérilla) avec des Thaïs musulmans revendiquant un Etat autonome.
L’Indonésie est une immense nation. Longtemps dirigé par des dictateurs (régime militaire violent et virile du président Suharto) issus de l’armée ou s’appuyant sur elle, ce pays musulman est forcément difficile à diriger si l’État n’est pas fort pour contrôler et diriger l’ensemble de l’archipel (même problématique pour l’archipel des Philippines).
L’Armée indonésienne n’est en principe plus directement au pouvoir en 2016 mais ses biens, ses propriétés terriennes et ses activités économiques sont considérables et répandues. En fait, l’armée, puissante économiquement, intervient sans cesse dans des processus de développement de ce grand pays. Ainsi, cette composante essentielle de la société peut se révéler un certain moteur de croissance. Voire un vrai moteur.
L’Indonésie a dû affronter la guerre d’Indépendance du Timor qui s’est terminée avec la présence de Casques Bleus en 2012 et la partition de cette île grande comme la Belgique, une partie restant indonésienne et l’autre devenant le possible onzième pays de l’Asean, le Timor Leste, indépendant.
En 2016, le Budget de la Défense indonésienne augmente de huit milliards de dollars.
Le Vietnam est considéré comme la plus grande puissance militaire de la région. Par son Histoire, par son expérience, par les succès qui l’ont mené à l’Indépendance, la pays a été construit autour de son armée et ses chefs militaires, tout autant qu’autour du parti communiste unique au pouvoir depuis 1975. Le peuple est tenu d’une main de fer et les manifestations interdites.
Bien équipée, notamment en lance-missiles, l’armée vietnamienne s’est dotée comprend d’une dizaine de sous-marins russes et coréens. Mieux même, la rivalité légendaire du Vietnam avec son grand voisin chinois qui a conduit pendant plusieurs décennies à des accrochages à leur frontière commune s’est déplacée ces dernières années sur la mer et la marine vietnamienne semble très opérationnelle. Le voisin chinois fait à peine peur. Les uns et les autres montrent leurs muscles ! Les conflits sur la propriété de l’archipel des îles Paracel de la Mer de Chine conduisent à une sorte d’état de guerre froide permanente entre les deux rivaux. La Chine occupe des îles considérées comme vietnamiennes et coulent les bateaux de pêche qui en approchent.
Guerre froide, toujours prête à chauffer…
Avec le Vietnam, la croissance est partout. Sauf peut-être dans la communication qui permettrait de se faire une meilleure idée des acteurs en présence. Quant aux relations avec le Laos, le plus faible budget militaire… les méthodes de grand frère fournisseur d’armes, qu’en penser, sinon que la croissance économique, aussi modeste soit-elle, de ce « petit frère » communiste, ne se fait pas avec les dépenses militaires ?
Les Philippines, comme l’Indonésie, doivent contrôler un immense territoire, terrestre et maritime. Expérience militaire marquée, lors de la Seconde Guerre mondiale, par la résistance contre l’invasion japonaise. Aussi, l’expérience « durable » du dictateur Marcos qui marque encore le fonctionnement de la puissance militaire, notamment l’Air Force, aujourd’hui un peu vieillissante. Et aussi cet œil bien présent de l’Armée Américaine en mer de Chine et dans le Pacifique. Le pouvoir philippin est également confronté en permanence à une guérilla musulmane accablante depuis près de cinquante ans à Mindanao, d’accord de paix en accord de paix.
Une force maritime et une force terrestre. Un Budget en forte croissance en ce moment (+ 25% de croissance). La tension dans la région ne cesse de monter.Les militaires et l’armement deviennent une priorité. Aux Philippines, ça bouge… Y compris avec un nouveau Président « musclé ».
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L’influence des dépenses de Défense, dans chaque pays membre de l’ASEAN, révèle surtout un élément fondamental de la croissance économique de chacun de ces pays. Mais ce qui est moins perçu c’est que les militaires deviennent eux-mêmes des acteurs économiques puissants.
Dans l’ASEAN, les armées, agents économiques dans chaque État, sont de véritables moteurs de croissance parce qu’elles sont de riches propriétaires. C’est un domaine de réflexion trop souvent ignoré.
J.
Ce texte photographique est un travail en cours. Il sera modifié dans les prochains jours et semaines et tiendra compte des remarques des lecteurs et de l’actualité. Merci.