Chemin de fer et Serpent de mer

« Serpent de fer »  ? ou bien nouvelle « Route de la Soie sur rails » ? Qui déraille ? Des rails chinois ? Comment ne pas railler ce train-train des investissements régionaux… ! ?

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La croissance du commerce, partout dans le monde, s’accélère au gré de la facilitation des transports routiers ou ferroviaires. Il en ira de même du commerce intra-asiatique lorsque la soit-disant toute proche ouverture du marché ASEAN exigera que le projet de grandes lignes ferroviaires internationales dans la zone sorte enfin des cartons, après une ou deux décennies d’attente.

Dans les pays majeurs de la zone, si l’on retire Singapour tourné vers les îles indonésiennes et le fameux détroit de Malacca, aucun pays ne peut se targuer d’avoir un réseau ferré performant et des lignes expresses. La Malaise se contente de ses deux axes vieillissant, un peu comme le Vietnam, un des moins mals lotis. La Thaïlande ne connaît plus depuis longtemps un train qui arrive à l’heure sans incident. Le Cambodge ne transporte aucun passager, le Myanmar aux mille priorités se réveille meurtri de tous côtés vu du Pont de la rivière Kwa.

Que reste t’il de nos amours … d’Extrême-Orient Express ?

La Chine, le Japon, l’Australie et surtout le Banque Asiatique de Développement ne cessent de penser à mobiliser des fonds sur des projets à long terme, celui de deux grandes lignes perpendiculaires notamment, concept qui permettrait de relier la plupart des pays de l’ASEAN et de les rattacher au Sud de la Chine, et d’une certaine manière, par la Chine, … vers l’Europe !

En 2006, ce sont 18 pays qui se sont engagés à construire un tel réseau qui comporterait quatre lignes majeures dont la plus importante – liaison Nord-Sud –  relierait (évidemment !) la Chine à la péninsule malaise. Un axe « Golden Yuan » Shanghai – Singapour ?

Les grands organismes internationaux se sont mis à chapeauter un tel projet, ce qui en fait depuis une sorte de « locomotive à vapeur ». Dans les hautes sphères onusiennes, on détermine 37 pays concernés – parfois alors désenclavés – reliant les portes de l’Europe à … Singapour, en passant par la Chine ! Les avancées sont nettes au Nord vers l’Ouzbékistan et le Kazakhstan.

Ce qui est frappant c’est que les pays les plus pauvres au Sud attendent depuis dix ans. Dans le même temps, les plus riches, ceux qui peuvent apporter des fonds et profiteraient en grande partie de ces liaisons commerciales nouvelles, s’observent en « lions de faïence » pour savoir qui prêtera aux plus pauvres et à quels taux d’intérêt ceux-ci rembourseront durant 20 ou 25 ans ! Heureusement les Suisses ne sont pas là !

Certes, les défis politiques et financiers sont nombreux pour la ligne « chinoise » mais tout autant pour la ligne Est-Ouest, du Vietnam au Myanmar, tournée vers le continent indien. L’Asie-Pacifique ne laisse aucune des grandes puissances mondiales indifférentes. C’est le bloc géopolitique à la mode ou … celui dont il ne faut pas rater un décollage possible (hors les BRIC).

Petit à petit cependant la Chine avance des pions de plus en plus nombreux sur l’échiquier. Les cheminots le savent : qui possède les rails contrôle le passage des trains ! Le Chinois dirait : qui fournit les rails, fournit les trains ? En effet, les spécificités techniques conditionnent la complémentarité des réseaux entre tous ces états historiquement assez hétérogènes. Les enjeux ne sont donc pas uniquement dans les banques mais dans l’écartement des rails. Anglais et Français regardent encore en souriant les débats sur les autoroutes qui traverseraient bientôt aussi l’ex-Indochine… à Bangkok !

Bref, il y a un certain train d’investisseurs qui avance discrètement mais sûrement. La ville de départ c’est KUNMING (il est conseillé d’y investir dans le quartier de la gare !). L’arrivée, c’est Singapour (là, vous avez encore moins de chance d’y aller seul pour investir ! Vous risquez de faire la queue au guichets. On ne vous a pas attendu.).

Le Japon, lui, le principal pays généreux de la zone, qui profiterait aussi du progrès des transports puisqu’il importe presque tout, est contraint d’observer en ne cessant de proposer son aide financière avec un peu moins d’arrière-pensées que d’autres. Lui, le fournisseur, il y a 60 ans, du réseau ferré thaïlandais, uniquement à voies uniques, jamais rénové depuis, avec des matériels roulants fatigués sinon obsolètes, et des accidents incessants, se demande encore comment ne pas rater le coche (!) et comment ne pas se faire rouler dans la farine (de riz).

Les militaires au pouvoir à Bangkok depuis mai 2014 semblent décidés à faire arriver les trains à l’heure (reprenant un projet de réseau nouveau à grande vitesse à 12 milliards de dollars ?) mais actuellement … « balancent » (comme des « pendulaires » suisses ?) entre les promesses de prêts et « l’étau » des intérêts sino-nippons. Les Chinois proposent 2 % pour les voies et 4 % pour les équipements. Derrière cela, il y a l’enjeu d’un TGV japonais qui a fait ses preuves au pays du Soleil Levant. Un TGV entre Chiang Mai et Bangkok remettrait un peu de concurrence avec les flux aériens. Mais à quel prix ?

Pendant ce temps… le petit Cambodge, 640 kilomètres de voies uniques à rénover, autrefois aidé par la Belgique, maintenant par l’Australie (quel écartement !?), avance pas à pas sur la réhabilitation de son tronçon majeur pouvant soulager la route à péage Phnom Penh – Sihanoukville. Histoire de traverse. Le fret vient d’être rendu opérationnel. Ainsi, un train de marchandises siffle (vraiment !) à nouveau trois fois en arrivant chaque jour en gare de Phnom Penh ; celle-ci pourtant bel et bien fermée au public.

Pendant ce temps… le Laos, le plus enclavé des pays de la zone, sans accès à la mer, rêve de voir venir… et lance des regards bridés tant au Nord qu’au Sud. Ti-rail-lés dans le fond comme souvent entre Chinois et Thaïlandais. La Malaisie se frotte patiemment les mains espérant se trouver bientôt (?) à la fois reliée à la Chine et à l’Inde par le Myanmar. Le tunnel semble souvent s’éloigner…

Les Vietnamiens se méfient. Habitués à leur façade … pacifique ! Ils ont toujours regardé vers l’Ouest avec envie. Ils ne se posent cependant pas trop de questions. Sûrs d’eux-même, malins et dynamiques, ils savent qu’ils sauteront bientôt dans le train en marche… et qu’ils s’adapteront. Chinois ou pas, ce nouveau chemin de fer, ils sauront être là pour commercer … sur la route toute la sainte journée un parcours : gagnant-gagnant. 20 sur 20, en 2020 !

A moins que le serpent de fer ne reste encore quelques années de plus un serpent de mer…

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Jeanmoreldefroissart

Un « boom » économique au Cambodge en 2015 ?

Les observateurs s’attardent sur les difficultés du Cambodge en matière de développement économique durable, au vu des inégalités, des archaïsmes, de la corruption endémique, de la chienlit des villes et, …  non des moindres maux, … au vu de la misère récurrente des campagnes depuis cinquante ans.

Voire au su de la bronchite chronique que connaissent le fonctionnement démocratique et la justice de ce pays, éléments qui peuvent manifestement influer sur le développement et les acteurs économiques.

MAIS, pendant ce temps, les affaires sont en plein « boom ». Il y a vingt ans, le boom de la natalité et de l’aide financière internationale ; puis les investissements ont suivi et marqué le changement de siècle. Aujourd’hui, les efforts commencent à porter leur fruits dans tous les domaines et une génération nouvelle de Cambodgiens arrive aux manettes dans le même temps.

Auparavant, on parlait de perspectives : elles sont là. Nous y sommes ! La pesanteur tant de la gouvernance que de divers secteurs économiques traditionnels a fait long feu. Tout bouge en ce moment sous le choc d’une croissance ferme et régulière et du commerce de biens et de services lié au tourisme. Publics et privés semblent se donner la main pour des créations de richesses. Les riches achètent, les banques se multiplient. Ces richesses rapides seront-elles réparties sur l’ensemble de la population, rien n’est acquis. Cependant, le développement est perceptible à l’œil nu.

Ces archaïsmes sont toujours là (tangibles et parfois insupportables) mais ils reculent d’une certaine façon puisque les autres éléments de progrès avancent ? Ils prennent le vent du changement de plein fouet ! La plus belle illustration vient des campagnes. L’agriculture cambodgienne n’avait guère bougé dans la première décennie de retour à la paix. Rien. Trop souvent victimes des aléas du climat, elle dépendait souvent de réseaux d’irrigation vieillots, entre sécheresses et inondations incontrôlées, et volonté de ne rien changer de ce qu’on sait faire et qu’on a toujours fait « comme ça » ! Cultures traditionnelles, usages pesants, équipements rudimentaires, élevage nourricier, familles nombreuses faisant face à la misère, voire à l’angoisse de la faim plusieurs mois par an, entre riz nourricier et semences à conserver.

Oui, ça y est, le secteur agricole bouge sensiblement. Certes, un certain exode rural a commencé (80% au lieu de 85 %, de la population ?) du fait des progrès et de l’amélioration de l’accès à l’Éducation et aux emplois de services urbains. Les jeunes fuient la misère et partent « en ville  » ; mais les paysans commencent à se tourner vers une certaine modernité. Le Cambodgien vit dans le présent… La génération post-KR se rassemble dans des associations villageoises pour acheter le matériel que les agriculteurs ne pourraient pas envisager d’acquérir seuls. Le collectivisme rebutent encore les plus conservateurs sortis vivants de la guerre. Cependant les autorités provinciales et surtout les ONG poussent dans le même sens, celui d’un développement favorable à l’accroissement de la production locale.

Tout bouge depuis 2014. Les initiatives des ONG sérieuses et puissantes et surtout de l’Agence française de Développement (afd), sont soutenues par des projets de financements dans tous les secteurs agricoles, notamment avec un fort développement du micro-crédit un peu moins « sauvage » qu’auparavant. La santé maternelle rurale, l’amélioration des conditions de vie, l’adduction d’eau, la préservation de la forêt, la pêche, le planting d’hévéas (plantations familiales) la scolarisation primaire, les soins vétérinaires, les précautions écologiques et de développement durable, tout commence à avancer et à s’organiser.

Les efforts portent leurs fruits comme si soudain les « plantations » étaient arrivées à maturité. Avec le décalage du temps, les arbres plantés donnent des fruits. Les marchés s’organisent (collectes de produits). La mécanisation fait discrètement son apparition dans les rizières. L’avenir des buffles vacille à moyen terme. Les intrants font moins peur. La modernité avance par touches. La peur saisonnière recule. Le riz qui manquait il y a vingt ans, maintenant suffisant, commence même à s’exporter allègrement. Merci aux agronomes. L’élevage se porte mieux et progresse, de même, en quantité et en qualité. L’agro-industrie est née. Il y a, oserai-je dire, un sensible « tremblement des terres »  !

Les secteurs productifs industriels sont également en ébullition. L’industrie textile continue à poser des problèmes de gestion humaine, de conditions de fabrication et de niveau de rémunération mais ne cesse de croître, de créer des emplois et d’améliorer le niveau de ses exportations. La production de vêtements pour les grandes marques occidentales représente un espoir dès lors que des pressions pourraient intervenir pour l’amélioration des conditions de travail actuellement inacceptables pour les salariés, principalement de jeunes femmes. On croyait provisoire cette industrie de main d’œuvre, elle semble s’être installée pour plus longtemps. Depuis 10 ans, le succès de l’adhésion du Cambodge à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est confirmé.

Les travaux publics sont le second secteur industriel en plein boom. Facteur d’importations, il est néanmoins créateur d’emplois dont la qualification s’améliore peu à peu et il est surtout synonyme de dynamisme et reflet de la croissance économiques.

Un nouveau pont sur le Mékong va s’ouvrir en fin d’année à l’Est où un axe routier express vers le Vietnam sera ensuite financé par le JICA, la Coopération japonaise. L’axe routier majeur du pays, à quatre voies Phnom Penh – Siem Reap, lui qui est en grands travaux herculéens, asphyxiants les villageois, sera peut-être achevé en fin d’année, plus sûrement en 2016. Reste la voie ferrée qui a du mal à se remettre en marche mais se fera avec la coopération régionale et internationale.

Le secteur du Bâtiment, lui, marche à plein régime. Même à Siem Reap déjà bien pourvu en structures hôtelières, de nouveaux établissements sortent de terre. Le prix du foncier explose comme à Phnom Penh il y une décennie. Une compagnie aérienne low cost chinoise parvient à joindre les deux villes touristiques dans de bonnes conditions.

Durant cette décennie, des tours sont sorties de terre dans la Capitale, comme de hauts champignons, construites si vite que la Municipalité fut incapable de surveiller le nombre d’étages accordés et construits. Cela fait, elle doit maintenant demander d’en « raboter » au moins trois dans le voisinage du Palais Royal. Sans grand succès immédiats d’ailleurs. Hôtels, condominiums, hôpitaux… D’autres projets immobiliers résidentiels d’envergure encerclent la Capitale alors que … le vieux building historique se fissure, comme un symbole, sur la route de l’Ile au Diamant (Koh Pich) qui fait vibrer toute une jeune génération motorisée et se qualifie de « Ville nouvelle » …

L’Énergie reste le secteur en devenir, vraiment prometteur. L’importation d’électricité résous certains manques récurrents depuis vingt ans mais doit faire face à une croissance régulière de la population et des activités. On importe des kilowatts. Le projet cambodgien d’un barrage hydraulique est retardé faute de consensus. La Commission du Mékong, elle, pendant ce temps, s’inquiète des barrages laotiens …

Le développement des services, l’apparition de centres commerciaux, l’éclairage urbain, autant de besoins croissants auxquels doivent faire face les autorités. Dans ce secteur énergétique le projet de construction d’une raffinerie (il y en avait une avant-guerre !)  près de Sihanoukville s’ajoute aux perspectives pétrolières et gazières du pays. Le transport fluvial se développe, les ports aussi, même si certaines viles de province semblent encore à l’écart du développement.

Enfin, l’industrie touristique continue de croître régulièrement. Les prévisions les plus optimistes sont chaque année dépassées.

Les visiteurs sont en nombre croissant. On croyait en un essoufflement de cette progression du fait de la baisse du pouvoir d’achat des pays occidentaux. En fait, si les Européens sont un peu moins nombreux et dépensent moins (les résidents français s’en plaignent), les Chinois et les Vietnamiens ont pris le relais en nombre. Les touristes asiatiques, le plus souvent en voyage de groupes, envahissent les temples quotidiennement. Des restaurants spécialement installés pour eux les accueillent avec des parking à autocars. Les Russes, très présents en Thaïlande, ne vont pas tarder à rejoindre cet élan, on parle déjà d’une « mafia » en bord de mer. Les Japonais, eux, les principaux donateurs d’aide financière au Cambodge, sont là pour longtemps et les Cambodgiens accèdent dans de nouveaux restaurants à leur cuisine avec joie et précipitation, alors que les Chinois, présents partout et toujours groupés et bruyants, tardent à faire l’unanimité…

Bref, en ne jetant qu’un œil conciliant sur un « développement à la chinoise » que les Cambodgiens voudraient bien maîtriser  » à la Khmère  » … , il y a un optimisme encouragé depuis un an par la « collaboration » pacifique de l’opposition politique aux côtés d’un pouvoir qui demeure fort et intransigeant.

L’année 2015 étant une année éloignée des élections législatives quinquennales (2013, 2018), il est permis de penser que les clignotants sont au vert, avec notamment la baisse des prix du pétrole, pour une réelle croissance économique performante ( … 8% ou plus ?), sans trop de troubles sociaux et avec une croissance mieux répartie (le secteur des services aussi est en plein boom, les écoles de formation sont pleines de jeunes avides d’apprendre et qui cherchent partout de l’argent pour … payer les cours et s’acheter une moto et un portable !).

2016, ouverture du marché ASEAN, dans l’incertitude, pourrait apparaître plus délicate et surtout l’année 2017 pourrait marquer un sensible ralentissement, … de la confiance d’une population attentive au changement. Personne ne peut affirmer que l’avenir est incertain, ou certain, mais chacun peut compter sur un présent assez prometteur.

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