Le GRAND LAC en danger !
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La bataille de l’eau a commencé en Asie du Sud-Est. Pas tant pour la consommation, même si les nappes phréatiques sont bien trop sollicitées par des populations grossissantes, que pour développer des ressources en électricité.
Le fleuve Mékong en Asie, comme le Nil en Afrique et l’Amazone en Amérique, est « nourricier » le long de ses rives et sur un large bassin. C’est l’un des fleuves les plus importants du monde et il fait l’objet de sérieux soucis pour trois des cinq pays de la zone qu’il traverse sur 4 800 kilomètres. Certains pays semblent avoir commencé la guerre, d’autres ne s’en sont peut-être pas encore rendu compte !
Comme partout, celui qui possède les eaux est le plus fort. Le pays des sources ! Pas de chance le plus fort pour les eaux du Mékong est justement aujourd’hui le plus puissant de la terre, la Chine ! Comment lutter ? A défaut de s’entendre vraiment (depuis deux décennies !), les pays du Mékong pensent pouvoir se débrouiller dans le chacun pour soi. Chacun son eau et ses poissons ! Chacun se sent capable de faire des barrages puisque l’autre en fait ! Les 31 projets de centrales hydroélectriques, dont certaines en construction sont terriblement inquiétants pour toute l’économie du fleuve et surtout pour les zones des basses terres qui ne vivent que par le Mékong.
Le pire retient l’attention au Cambodge où il y a une spécificité unique au monde : un lac immense (le Tonlé Sap) qui transfère ses eaux six mois de l’année dans le Mékong et qui se nourrit les autres mois de recevoir les riches eaux du Mékong. Les poissons connaissent le chemin qui viennent s’y multiplier… C’est un phénomène géographique unique où une rivière coule dans un sens puis dans un autre ! Toute une économie de bassin est organisée depuis des siècles sur les rives de ces eaux. Autrefois, chacun y trouvait son compte entre la Thaïlande, accessoirement la Birmanie, le Laos, le Cambodge et surtout le Vietnam ! Aujourd’hui, l’eau est devenue trouble. Rien n’est plus garanti. Sans compter les dommages environnementaux que l’on devine alors que la qualité des eaux ne cesse de d’inquiéter, fortes de toutes les pollutions possibles liées à la modernité agricole et industrielle.
En matière de de développement, le défi de l’aménagement concerté des eaux du Mékong est sur le point d’être perdu. Qui perd ? Qui perdra ? Sans doute pas la Chine au Nord qui possède le contrôle des eaux et des barrages déjà existants. Sa position dominante ne peut que causer des dommages sur ses pauvres voisins du Sud. C’est une évidence qui n’inquiète pas encore suffisamment, chacun étant plus préoccupé par ses propres projets de barrages que par les conséquences des projets des autres.
Le Mékong est un garde-manger pour des dizaines de millions de riverains – 80 millions, dont 10 au Cambodge – et pour ce pays c’est toute la population qui vit autour du Tonlé Sap de la pêche et des autres ressources naturelles et vivrières.. du Grand Lac. Une richesse de biodiversité unique. La situation est plus qu’inquiétante. Ce petit pays sans électricité est même accablé par un plus petit que lui, le Laos, en amont, qui entend développer ses capacités de production à travers la réalisation de ses premiers barrages sur des rivières se jetant dans le Mékong.
En 1995, ces beaux pays ont signés un Traité de coopération et de respect réciproque initié par une administration d’abord installée au Vietnam, créée pour ce faire : « La Commission du fleuve Mékong ». Déjà, se profilaient les barrages en Chine. La Chine et le Myanmar n’en sont pas membres mais seulement « observateurs ». Depuis lors, que sont devenues les bonnes intentions des uns et des autres ?
Ces intentions semblent flotter comme le niveau fluctuant des eaux. Chaque observateur se demande maintenant pour quoi les eaux montent ou baissent. Demain ils se demanderont sans doute pourquoi il n’y a plus de poisson ! Ce sont les barrages du Laos, pays riche en sources secondaires affluentes, qui se multiplient. Il était prévu de créer des passages pour les poissons ! Mais les migrations ne semblent pas se faire dans les deux sens.Et qui vérifie la capacité des ingénieurs ?
Une atmosphère de conflits est née au fil des dernières années. En 2015, elle devient perceptible. La Commission du Mékong (M.R.C.) observe, constate et analyse mais elle ne dispose d’aucun moyen de coercition. Où s’arrêtera donc cette atmosphère ?
Dans la zone du bassin du Mékong, comme souvent en Asie, régler les problèmes en s’appuyant sur des règles internationales n’est pas dans les habitudes des diplomates et des gouvernements. Solidaires, mais chacun pour soi. L’avenir est inquiétant. Toute l’économie du bassin pourrait être modifiée dans 10 ou 20 ans. A l’image de la dualité équivoque, semble t-il des Vietnamiens, viscéralement anti-Chinois mais économiquement pro-Laos. Eux qui accueillent les eaux dans le fantastique Delta du Mékong. Avec moins de courant, c’est l’eau de mer qui va rentrer dans le Delta et saliniser les terres aujourd’hui si fertiles, non ?
Dans ce contexte où l’on parle de stratégie politique, le pauvre Cambodge qui est le plus démuni en ressources hydro-électriques puisqu’il achète du « power » à tous ses voisins, sera sans doute aussi le plus victime des aléas de l’ouverture des barrages pour libérer des eaux en amont. Et… la riche Chine de plus en plus présente dans les entreprises khmères ne craint pas grand-chose des conflits diplomatiques entre les États. En effet, discrètement mais sûrement, elle s’installe sur de grands projets, les finance et semble si bienveillante au point de « garantir » plus ou moins les déficits budgétaires du pays.
Les relations entre les États sont peu à peu minées. Aucune feuille de route ne s’écrit entre eux. La position du dominant est telle et ses pouvoirs d’ouvrir ou fermer les vannes font, que le futur ne dépendra très bientôt que de lui, que d’elle !
A quand une négociation ? un accord ? Impossible avec cette domination. A moins que ces trois pays qui formaient l’ancienne Indochine ne se trouvent tout-à-coup une puissante grand-mère qui pourrait contrebalancer la position dominante. Il est sans doute déjà trop tard.
La guerre du poisson aura bien … lieu.
JM