Question 4
Le chef du gouvernement cambodgien, Samdech Hun Sen, avait expliqué dans le passé qu’il devrait assurer la croissance économique pour que le Cambodge puisse être fort indépendant et un état souverain. Qu’est-ce que vous en pensez aujourd’hui dans ce contecte?
Cette question m’apparaît plus politique qu’économique. Mais elle mérite une réponse en terme de géopolitique avec les puissances économiques amies.
J’ai eu l’occasion dans les années 1990 d’expliquer aux leaders de l’État du Cambodge que l’économie de marché (celle qui a succédé au centralisme de l’Etat de cette époque) apporte des bienfaits à la société par la compétition, par l’arrivée des investisseurs extérieurs, etc. même si l’Etat perd un peu de rôle essentiel et actif. Dans ce jeu, l’État doit rester un acteur secondaire dans l’intérêt du respect des règles du jeu (et du Code du Commerce) et de l’intérêt collectif.
La liberté commerciale crée, elle-aussi, parfois des dépendances, du fait des importations libres. Le pays devient dépendant par le jeu du marché qui répond aux besoins de la population et non plus aux « plans » de l’État.
Je sais que le Gouvernement royal a bien compris ces mécanismes et qu’il veille depuis lors au rôle d’arbitre qui demeure celui de l’Etat et des ministères du Commerce, de l’industrie et de l’Agriculture, et qu’il agit notamment pour compenser les importations en développant la production cambodgienne. Et pour cela des infrastructures sont nécessaires. Il manque de l’électricité, des ponts, des routes bien faites, des voies express, un train interrégional, des tramways urbains modernes, dans les grandes villes…
Le Cambodge est un état souverain. C’est une belle monarchie constitutionnelle et les pouvoirs publics agissent, notamment pour maîtriser la stabilité de la monnaie (4000 riels pour 1$) depuis 20 ans. Un vrai succès aussi de la Banque Nationale. Il est seulement dommage que la jeunesse actuelle préfère le dollar américain alors qu’il est une dépendance (sur le Trésor américain) ! Il conviendrait de tout payer en riels dans la vie quotidienne et d’encourager absolument les commerçants à respecter la parité 1/4000. Les achats doivent se faire en riels.
La dépendance vis-à-vis du commerce avec le Vietnam était nette il y a 10 ans. Cela semble diminuer dans certains secteurs. Le café cambodgien par exemple. Celle avec la Thaïlande a tendance à augmenter. Pourquoi ? – Il y a sûrement des efforts à faire, notamment sur la nourriture, sur l’habillement, les matériaux de construction. Produire au Cambodge et pas en Chine ! Et pourquoi le « latex » cambodgien est commercialisé surtout par des acheteurs vietnamiens ? Ce sont encore des Chinois ?
Concernant l’arrivée un peu trop forte des entreprises chinoises, il faut effectivement veiller à ce que le développement rapporte à l’économie du Cambodge et pas à l’économie chinoise. Le « grand frère » du Nord, ami de longue date du Roi Norodom Sihanouk, ne vient pas pour manger le « petit » mais il doit venir pour l’aider. Notamment l’aider par la formation et les créations d’emploi. Je ne vois rien venir.
Les résultats seront visibles dans les prochaines années. Les Chinois et le gouvernement devront rendre des comptes sur les acquis de cette migration pour le pays. L’enrichissement des Cambodgiens est attendu par le Premier Ministre. Par la hausse du produit intérieur brut par habitant. C’est possible, mais … Ce qui est le plus à craindre ce sont les bénéfices qui retomberaient toujours sur les mêmes familles. Attention à l’enrichissement de certains Cambodgiens, toujours les mêmes.
Il y a entre 50 et 500 familles sino-khmères dans le business de la construction, du bâtiment et des travaux publics. Le danger serait « l’accaparement » des bienfaits économiques par ces familles-là sans retombées pour les autres. Les Chinois travaillant avec les chinois, les Chinois-Cambodgiens, les sino-khmers, vont probablement s’enrichir. Le gouvernement doit veiller à ce que les profits n’aillent pas tous directement à ces familles mais s’élargissent et retombent sur l’ensemble de la société… C’est le défi actuel.
Pour faire front, faut éviter … le cercle vertueux de connivence ! La croissance du profit reste dans le « cercle ». Comme il existe la « roulette russe », il y a le « cercle chinois » et le « casse-tête chinois ». Les Cambodgiens doivent se méfier. Les Chinois sont des commerçants et des profiteurs. Ils travaillent énormément pour réussir et pour s’enrichir. Les Cambodgiens doivent faire de la compétition économique. Ils doivent relever tous les défis et ne pas rester passifs.
Une richesse qui profite aux citoyens Khmers, c’est cela le bienfait à attendre des investissements chinois. Si cette période ne crée pas de nombreux emplois pour les ouvriers cambodgiens, c’est une erreur. Si cela crée des emplois pour les ouvriers chinois c’est malhonnête. Les autorités doivent surveiller cela et ne pas laisser faire. Sinon cette période sera un échec pour les pauvres et un succès relatif pour les riches. Avec des conséquences néfastes et un difficile retour en arrière.
Voilà ma réponse à votre question. Oui, le Cambodge est un bien état souverain et le gouvernement royal y prend garde. Oui aux investissements chinois qui profitent aux Khmers et respectent l’état souverain. Là, c’est un peu moins certifié.